Panneau Notre-Dame des Landes
Des affrontements ont récemment eu lieu près de Notre-Dame des Landes entre l’État, soutenant la construction du nouvel aéroport Nantes grand-ouest, et les opposants à ce projet. Nous sommes partis faire un reportage dans la ZAD, Zone d'Aménagement Différé, rebaptisé par les opposants « Zone À Défendre ».
Un accueil chaleureux
Un coq
Ce vendredi soir, notre première rencontre dans la zone n’était pas très originale : un groupe de gendarmes, légèrement stressés, nous a arrêtés pour faire quelques contrôles. Ils vérifient notamment qu’aucun matériel de construction ne soit amené dans la zone par voiture ou camion. Les opposants à l’ouverture de l’aéroport cherchent en effet à ériger des habitations dans la zone.
Un des gendarmes nous indique : « roulez lentement, il y a beaucoup de gens ». À cette heure-ci (20h), dans le noir complet, il est difficile de les distinguer. Nous en avons effectivement rencontré beaucoup qui marchaient le long de la route, à côté des nombreuses voitures garées sur le bas-côté. C’est le week-end et les « combattants » arrivent.
Nous nous rendons à pieds jusqu’au point de rendez-vous fixé par le « contact presse ». L’accueil dans cette vieille grange est chaleureux. On nous avait toutefois prévenus « on n’aime pas trop les journalistes, évitez de poser trop de questions », ce qui se comprend. Les anarcho-journalistes (l’expression est de nous) ne s’embêtent apparemment pas avec les lois, la politesse ni le respect des gens. La violence de leur démarche laisse durablement des traces dans l’esprit des gens. Nous promettons donc de ne pas photographier les gens, ni l’intérieur des maisons, sauf autorisation spéciale.
Les tâches et les lieux sont ici « communautaires » : les repas sont préparés puis pris ensemble ; un dortoir d’une quinzaine de places, où nous avons dormi, est accessible librement. La ZAD est formée de nombreux petits groupes organisés de la même manière et communiquant entre eux par talkies-walkies.
Notre interlocuteur est sympathique. Nous en profitons pour lui demander : « où sont les anarchistes violents dont on entend souvent parler ? », « j’en suis un » répond-il. La discussion s’engage. Il nous explique que 40 000 personnes sont venues à la manifestation il y a quelques semaines pour soutenir le mouvement.
La soirée fut égayée par un spectacle d’improvisation plutôt bien mené, à côté d’un feu de bois. Une dizaine de personnes étaient présentes.
Une zone à défendre
Barrage routier
La journée du samedi était agréable, le soleil ayant réchauffé l’atmosphère. Les activités planifiées sont annoncées à l’accueil et sur le site Internet. Au programme : édification de barricades, construction de chalets en bois et repas commun (frites le samedi soir !). De nombreux groupes sont répartis dans toute la ZAD. Chacun s‘auto-organise.
La ZAD, dit Zone À Défendre, est très grande : 8km de l’est à l’ouest et 2km du nord au sud. C’est une zone rurale où ne subsistent que quelques habitations. On y trouve des prés, des champs de maïs, le tout entouré par les anciennes haies d’arbres. Il y a par ailleurs de petites forêts, très propices aux « nouvelles constructions ». Les prés sont majoritairement gorgés d’eau, ce sont presque des marécages ; de nombreux sentiers sont très boueux ; l’eau, parfois aux couleurs de purin, déborde des fossés. La zone n’a que peu évolué depuis les années 70, paradoxalement grâce au projet de l’aéroport. Nombreux sont les propriétaires à avoir vendu leurs maisons et leur terres ou à avoir été expropriés. On y trouve donc essentiellement des locataires.
Malgré les conditions difficiles et le travail ingrat pour certains, les gens tiennent à ces terres et chacun pour ses raisons : l’agriculture, l’écologie, les quelques habitations, la lutte contre le bétonnage du sol français, la lutte contre un projet jugé inutile et coûteux, la lutte contre l’État. Tous sont très déterminés et viennent ici comme à une croisade moderne contre le capitalisme destructeur.
Les « occupants » érigent ainsi des barricades sur la route, en générale détruites par les gendarmes, et surtout dans les forêts, aux endroits stratégiques. Les barricades protègent en effet les lieux important où sont installés les gens et surtout des constructions en bois, parfois sommaires, parfois nettement plus élaborées.
Un irréductible village
Chalet en bois
L’emplacement le plus populaire, après le passage obligé de l’accueil, est certainement le « village ». En pleine forêt, les opposants construisent des installations en bois. Les matériaux sont transportés à pied pour passer les contrôles policiers et surtout les nombreuses barricades qui protègent les accès à cette partie.
Une barricade
La route proche des constructions est en effet coupée par plusieurs barricades, parfois très élaborées : tranchées (certes petites) ; pont levis ; amas infranchissables, à moins de passer par le côté en sortant du chemin ; projectiles prêt à l’emploi ; etc.
Tracteurs enchaînés
Au milieu du bois se trouvent les constructions, protégées par une vingtaine de tracteurs enchaînés. Les catapultes ennemies ne passeront pas. À l’ouest du village, trois chalets en bois, un « tipi » et une tour de guet sont présents. À l’est, on trouve trois maisons, une manufacture et la taverne, qui attire une cinquantaine de personnes venues en familles. À l’ouest comme à l’est, les installations occupent un demi-cercle dont le centre est recouvert de paille et sert aux rassemblements.
De nombreuses personnes s’activent, tantôt pour fortifier les barricades et inventer de nouveaux système de défense, tantôt pour construire les nouvelles maisons. Leur potion magique, la bière, pourrait sembler efficace. Il n’est pas sûr qu’elle suffise contre les romains, aux machines de guerre et aux palais de justice nettement plus élaborés.
Une population diverse
Un autocollant sur une voiture
La ZAD fait l’objet d’un va-et-vient incessant, des promeneurs du dimanche venus voir les « attractions », aux RMIstes arrivés pour prêter main forte. Parfois, l’âge d’or des hippies refait son apparition, comme à cette barricade où plusieurs sont sur la paille. Un mode de vie très différent de celui citadin, d’abord par la bonne humeur et la sympathie, quelque peu troublées à la vue d’un appareil photo, ensuite par la pérennité ne tenant qu’aux dons. Toutefois, ce sont peut-être les gens les plus à propos, puisque l’étude de l’aéroport est à peine plus jeune que leur idéal.
Pendant que nos gendarmes s'entraînent au chaud dans de belles salles de musculation - il faut bien s'occuper à la campagne, les opposants boivent des bières autour d'un feu, les promeneurs profitent des « animations », de nombreux riverains grognent contre ces jeunes « qui feraient mieux de bosser pour comprendre ce que c’est et éviter d’emmerder les autres », les agriculteurs profitent d’un loyer nul et la machine étatique, autrement dit l’administration, s’impatiente.
Majoritairement jeunes, nos défenseur de l’avenir rural, s’il en est un, viennent pour un ou deux jour(s). Certains, sans travail, mis à part les « infiltrés », restent vivre là, comme les croisés à Jérusalem. Des combattants nous n’en n’avons pas rencontrés, sauf à la gendarmerie. Nous avons plutôt vu les préparatifs civils d’un long siège.
Si l'issue de la bataille est déjà certaine, en supposant l'État continuer ce projet, sa durée l'est moins. Sans soutenir l’extrême gauche, ni aduler certains modes de vie, l’État ne devrait-il pas mettre à jour sa communication, pour laquelle il utilise les médias, ainsi que le dossier aéroportuaire ?
Merci à tous ceux qui ont participé (4 personnes) à ce reportage de l'ANFAD.